jeudi 4 juin 2009

Pouvoirs du discours, puissance de la vérité !

Le discours donné par le président Barack Obama à l'Université du Caire était très attendu. Allait-il confirmer les signaux d'un renouveau de la politique américaine au Moyen-Orient ? Mais encore une fois ce discours, qui n'est pas qu'un discours, a dépassé presque toutes les attentes. Trop souvent le pouvoir du discours se rabat sur le discours du pouvoir : l'ombre est très courte parce que d'une manière voilée, ce sont les armes qui parlent, le rapport de force écrasant. Facile alors de parler à voix basse, calme, mesurée, quand on agite, tel un Teddy Roosevelt, un gros bâton.

Mais c'est ainsi que l'on parle à des chiens. Les humains, souvent, espèrent entendre autre chose. Les paroles de paix sont difficiles à contrefaire. C'est ici qu'on l'attendait et je crois que les sceptiques seront confondus. De grands experts répondant à la question : mais qu'est-ce qu'il pourra faire? ont répondu "mais, encore de beaux discours"... Le plus souvent un discours, en politique, ne fait qu'entériner une action déjà accomplie et se borne à reconnaître l'impossibilité de renverser le rapport des forces en présence.

Stiglitz, lui, disait : "même s'il est presque parfait, nous allons beaucoup souffrir." Là, ce n'est plus du scepticisme qui confine au cynisme, mais un sain réalisme de la part d'un des rares économistes (et prix Nobel) vraiment respectables. Joseph Stiglitz, ancien économiste principal à la Banque Mondiale, limogé parce que trop critique, ancien conseiller de l'équipe Clinton, a une vue trop profonde des difficultés, contradictions profondes qui minent la mouture actuelle du régime capitaliste pour croire en une rapide sortie de la crise sans douleurs.

De fait Obama ne cache pas la difficulté de la tâche qui n'est pas seulement la sienne. C'est en voulant ne rien cacher, jouant, contre l'habitude, cartes sur table, qu'il a tendu cette main grande ouverte aux musulmans ainsi qu'à tous les assoiffés de justice et de paix, c'est-à-dire finalement, les humains du monde entier.

C'est ainsi qu'il a tendu la main au monde musulman, d'abord en reconnaissant les valeurs et l'importance historique des contributions de toute cette culture au progrès de la civilisation. Mais aussi tout de suite en l'invitant, ce monde musulman, à ne pas rester braqué sur le passé fasciné par ce qu'il refuse, les différences qu'il rejette, mais bien de se tourner vers l'avenir en reconnaissant les ressemblances, points communs, "common ground" sur lequel construire "le monde que nous voulons" : "the world we seek".

Largement applaudi, la parole était pourtant sans complaisance, quand il mettait au défi, par exemple, l'Islam de vivre selon ses meilleurs principes. J'ai savouré l'habileté de ce discours, son équilibre, le balancement de l'histoire interprétée et du futur proposé. Discours bien écrit mais récité par cœur, senti et parlant à cœur ouvert, dirait-on : parole vivante ! Inouïe encore sur les tribunes politiques. Cet homme est tout à fait d'accord avec ce qu'il dit, c'est la seule explication à part quelque gadget technique inconnu.

Le sixième point concernait la promotion de l'égalité de la femme en Islam comme ailleurs. Il disait moins se soucier du port du voile que de l'accès égal à l'éducation. Valeur importante pour le progrès social et la prospérité économique. Les officines traditionalistes s'impatientent, certains s'en mordent les lèvres ou avalent leurs dentiers dans la mosquée ou le salon. Les marchands de haine cherchent de l'air. "Il faut cesser le cycle de dissensions et de haine, de méfiance et de vengeances".

Son discours en six points plus un esprit de grande ouverture pour la paix est encore un jalon dans l'histoire qui s'écrit. Il ne va pas changer du jour au lendemain les tièdes ni les extrémistes, les esprits chagrins et les cyniques, il va au moins les obliger à changer de position au mois sur leur siège, peut-être obliger certains dogmatiques à sortir de leur zone de confort.

Ce discours réaffirme la valeur universelle des droits de l'homme, le principe moral au cœur de toutes les grandes religions : la fameuse règle d'or de "faire aux autres, proches et lointains, ce que tu voudrais que l'on te fasse" et la condamnation universelle du massacre des innocents. Et l'on perçoit la sincérité de l'homme qui le profère. C'est la la force de la personne, Barack Obama, et l'aliment, je crois, de son charisme.

Il s'en est pris directement aux extrémistes de tous bords, nommant la République islamique d'Iran négationniste, la colonisation israélienne injuste et déplacée, mais pas la Corée du Nord, déjà aux abois ni la grande Chine, qui fait obstruction aux droits de l'homme. Il ne cherchait pas à manifester une politique, fusse-t-elle de paix, volontariste et agressive. C'est pourquoi il évite de froisser les asiatiques, ici.

Pourtant l'occasion était belle, en ce jour anniversaire du massacre de Tien-an-Men, de clouer la Chine au pilori. Il est des moments où la compréhension de l'implicite est plus forte que la condamnation explicite. D'importantes négociations sont en cours avec la Chine, concernant les changements climatique et aussi le bras de fer de la Corée contre le monde. Le Tibet recherche la paix et ce n'est pas le moment de la ramener. Les puissances expansionnistes ne changeront pas de nature.

Mais le monde, lui, doit changer et de plus en plus ceux qui le savent feront pression pour limiter les ambitions lorsqu'elles sont illégitimes et contraires à l'amélioration du sort commun, celui de tout homme, toute femme, qui aspire à vivre libre, à réaliser son potentiel et à élever ses enfants dans la sécurité de la paix véritable. Il n'y a pas de recette simple, un long et persistant effort de communication et intercompréhension mutuelle.

Cela serait le beau côté des choses. Cela, c'est l'espoir que le président Barack Obama à décidé de faire miroiter à tous et pour tous, urbi et orbi comme disent les papes, comme dit si bien le latin et qui pour moi rappelle les accents d'universalité de l'humanisme sartrien, par exemple, qui véhicule un semblable message de la réciprocité comme voie de résolution des conflits historiques.

La parole est aux adversaires, maintenant : que sont-ils prêts à FAIRE pour contribuer à la cause commune d'une humanité en danger ?

All we are saying is... give peace a chance !

Alors, oui, c'était un bon discours, mais nous ne nous bornons pas ici à un rôle de meneuse de claques. Nous ne pouvons oublier que c'est tout de même la puissance américaine qui s'exprime par la bouche de son chef actuellement charismatique. Le soutien obsessionnel à Israël ne sera pas remis en question et les grands enjeux géopolitiques, la rivalité pour l'accaparation des sources énergétiques accessibles...

Tout cela, qui fait le grand basculement du monde, la route accidentée de l'histoire, en un mot : l'affrontement des volontés de puissance ne va pas changer parce que passe par la bouche d'un dirigeant élu des signes plus propices, une parole de paix, des indications plus habiles pour une négociation future.

Il ne sera pas toujours possible d'éviter les conflits, mêmes majeurs. Le rôle d'une meilleure information sera alors au moins de nous expliquer assez clairement, quand il le faudra, pourquoi nous nous battons. Pourquoi et pour quoi, quelles valeurs ? Quelle vision de l'avenir ? Il n'y a pas qu'un seul projet pour le monde futur.

Comment verriez-vous, par exemple, une planète islamique, ou chinoise, voire même indienne ou africaine ? L'islam comporte le projet explicite de dominer la planète. La Chine est obligé de se débattre pour devenir la plus grande puissance mondiale donc doit nécessairement marcher sur les brisées des USA.

L'Inde va manquer d'eau, le Pakistan encore plus vite ! Deux puissances nucléaires ! L'Afrique est mal partie, mais va peut-être arriver à quelque chose... Et plus facilement encore si des géants se sautent à la gorge...

Le charme seul d'Obama opérant est impuissant à éviter ces cauchemars, peut-être pas si imaginaires, car plausibles. Le discours de bonne volonté ne suffit pas à effacer les catastrophes.

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