mardi 1 mars 2011

La Chine est-elle "le plus grand État fasciste du monde"?

La question était posée après qu'un journaliste occidental présent à une manifestation avortée à Shanghai en cette fin de semaine, par sur-présence prophylactique policière, ait rapporté avoir été discrètement abordé par un homme âgé qui lui aurait confié cette pensée : "La chine est le plus grand pays fasciste du monde". J'ai vu cet énoncé sur twitter et j'en ai fait aussi l'objet d'un twit que j'ai donc relancé. (Mon identité sur twitter est "JPreaultques", je vous invite à suivre mes occasionnels messages...)

Mais techniquement cela n'est pas vrai. Il faut revenir à la définition des mots employés et si l'on veut éviter les amalgames on aurait de meilleures chances de parvenir à une pensée rigoureuse du politique qui nous permettrait d'y voir plus clair dans la situation confuse et changeante du monde actuel.

Le fascisme dénote un ensemble de mouvements sociaux et politiques qui s'est développé en Europe durant le XXe siècle et qui comporte un ensemble de caractéristiques précisément reconnaissables. Peut-on parler d'un fascisme japonais ? Certains traits peuvent beaucoup se ressembler, entre l'enthousiasme vis-à-vis d'un Mussolini et la dévotion pour nous incompréhensible d'un jeune soldat Japonais pour la famille impériale : au-delà du fanatisme, c'est d'une véritable possession superstitieuse, religieuse dont il s'agit.

Marx étudiait dans ces cas le phénomène qu'il avait choisi d'appeler le "despotisme asiatique". Il reconnaissait que les grands empires agricoles qui apparaissent dans l'histoire bien après la "révolution néolithique", marquant le passage à l'agriculture, et après des millénaires de vie en villages, n'avaient pu se développer que sous une direction rigoureusement centralisée, investie des pouvoirs indistinctement religieux et politiques, mais aussi que cet nature en quelque sorte primitive du pouvoir d'État avait perduré jusqu'à l'ère moderne dans les contrées asiatiques.

Certains ne se gênent pas pour parler de Mao Zédong comme du "dernier empereur", rouge, celui-là, faisant pendant, comme symétriquement, à l'autre bout de l'histoire chinoise, au fameux empereur jaune, Qin Huangdì. D'ailleurs lui-même cultivait-il consciemment, dans son narcissisme, cette image pour renforcer son pouvoir. Les Chinois sont terriblement sensibles aux images chargées de symbolisme. Cette disposition, commune jusqu'à un certain point à toute l'humanité, est chez eux renforcée dans toute la culture par leur rapport tout particulier à leur extravagante écriture.

Celle-ci, aux innombrables caractères dont le dessin communique à toute une histoire, maintenant à demi oubliée, transvasée, reformulée, les maintient particulièrement connectés aux anciennes formes de la poésie classique, qui comporte un nombre somme toute assez restreint de figures, tropes, métaphores, images, qui sont vus universellement là-bas (clichés révérés) comme l'ineffable dont ils ne perçoivent même pas la platitude.

Ainsi, tout l'érotisme sera suggéré par le jeu des "nuages et de la pluie", le contraste complémentaire du Yin et du Yang se reflétera sur la montagne et les eaux, de la rivière à la mer, qui sera dorénavant oraculaire de toute la vie affective des humains, pour la lutte contre les vices ou l'acceptation du destin, et les gouvernements seront investis du "mandat du Ciel", jusqu'à preuve du contraire... assénée par des catastrophes naturelles ou écologiques.

Alors que le fascisme s'alimente d'un mythe fondateur et suscite l'enthousiasme en flattant de manière populiste les tendances d'un peuple résistant à la modernité, le Parti Communiste Chinois se passe bien d'une telle approbation, inexistante dans le peuple, parce qu'il est réputé investi de ce "mandat du Ciel", en tout cas tant que les choses sembleront ne pas aller trop mal en Chine, tant que la plus grande partie de la population semble y trouver son compte.

Les Chinois ne sont pas très exigeants et ils ont appris de leur longue histoire à se contenter de peu. Centrés sur la famille, ils ne souhaitent que de prospérer pour assurer la suite d'une longue lignée. S'ils se jettent depuis peu sur la richesse et la consommation, ils risquent alors de perdre leur personnalité et identité chinoise lorsque la propagation de l'égoïsme individuel fera ses ravages.

Cela ne relève pas du tout du même genre de pouvoir, même si, phénoménalement, les techniques répressives et policières semblent étonnamment similaires. Mais fascisme ou pas, la corruption est universellement répandue et le cynisme désabusé des masses semble partout pareil, le simple revers de l'impuissance ressentie de manière écrasante, toujours... Sauf quand se fait jour l'espoir d'une contestation organisée ou de possibilité de renversement d'un ordre si pesant.

Alors on voit l'enthousiasme révolutionnaire renaître de ses cendres qui n'avaient jamais cessé de couver dans les masses, même sous les apparences de la plus abjecte sujétion, comme nous pouvons le constater actuellement dans la successions des printemps arabes où fleurit le jasmin.

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